«Mes premiers jours en Suisse»

La Suisse. Auteur: Damien Ligiardi (CC BY-NC-ND 2.0)

La Suisse. Une photo de Damien Ligiardi (CC BY-NC-ND 2.0)

André, un jeune Congolais de 21 ans, raconte son arrivée en Suisse. De surprises en déceptions, de rencontres en découvertes, il nous emmène sur les chemins tortueux de l’asile. Témoignage.

«Le mercredi 14 mars 2012, j’arrive au Centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe où je vis mon premier choc : lors du dépôt de ma demande d’asile – mon premier jour en Europe – je suis placé en «semi-détention» (selon les propos d’un gardien), comme l’exige la procédure.

Au centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe

Je passe donc près d’un mois en semi-détention à Vallorbe et cette expérience est très traumatisante. Mis à part le décor qui a changé, je retrouve ce que je fuyais dans mon pays : des hommes en uniforme qui se prennent pour des dieux, le mépris, l’enfermement, la misère lisible sur le visage des résidents et une alimentation bizarre, comme des macaronis roses mélangés à de la salade.

Au moment du départ du centre, on me remet un ticket de train. Destination : la ville de Lausanne. Arrivé à Lausanne, je me rends au service de la population de Canton de Vaud – le SPOP – qui me délivre un permis N, puis à l’antenne administrative de l’Établissement vaudois d’accueil des migrants – l’Evam – qui me remet 12 francs d’assistance financière journalière. Je me rends alors compte que je vais être transféré à Sainte-Croix ! je me demande alors «c’est où Sainte-Croix ?» J’interroge un Monsieur à la gare de Lausanne qui m’explique l’itinéraire à prendre. Désorienté et n’ayant pas la connaissance du pays, j’arrive à la gare de Sainte-Croix et je me demande si je suis toujours en Suisse, parce que dans mon imagination et vu le trajet effectué depuis Vallorbe, je pense être renvoyé hors des frontières du pays.

Arrivé au foyer Evam de Sainte-Croix

Arrivé au foyer Evam de Sainte-Croix, et selon le protocole, je me rends à l’intendance où l’on m’attribue un lit ainsi que quelques ustensiles pour la cuisine. Après m’être installé dans la chambre que je partage avec quatre autres requérants d’asile qui sont arrivés avant moi, je sors prendre l’air à la découverte du village qui m’accueille. Durant mon parcours à pieds, je me rends compte combien je suis loin de chez moi : Boma, une ville portuaire qui se trouve en République démocratique du Congo. Je ne peux retenir mes larmes qui se mettent alors à couler telles la pluie un jour d’orage. Je me rappelle alors les miens que je ne reverrai pas de si tôt et je me dis alors qu’il y a vraiment de quoi péter un plomb et devenir fou, se mettre une balle en pleine tête ou simplement essayer d’écrire un livre de deux mille pages jusqu’à en devenir ivre.

M’ayant aperçu en train de pleurer, un groupe de requérants d’asile s’approche de moi pour me consoler en me disant de prendre courage, que je m’adapterai, que ce parcours de la procédure d’asile me fortifiera et me rendra plus endurant. Ils m’invitent alors à jouer avec eux au volley-ball, histoire de me changer les idées. Une fois la nuit tombée, impossible pour moi de fermer l’œil, car ma tête est bourrée d’appréhensions. Je passe alors une nuit blanche. Le lendemain matin, avec mes compagnons de chambre, impossible de communiquer, car on ne parle aucune langue commune. Une vraie Tour de Babel ! C’est ainsi que s’ajoute l’ennui et l’isolement à la litanie de mes soucis. N’ayant personne avec qui discuter dans la chambre et n’étant pas enthousiaste à l’idée d’aller à l’extérieur à cause du froid extrême inconnu du jeune Africain que je suis, je pense alors à mes amis d’autrefois jouant au football pieds nus sous la chaleur brûlante de l’Afrique. Je m’exclame alors: « Dieu sauve moi ! ». Après mon bain, n’arrivant pas à manger par manque d’appétit et à cause de mes tourments, je cherche alors à savoir s’il y a dans le foyer des gens provenant du même pays que moi. C’est alors que j’en découvre un avec qui je sympathise et que je ne le lâche plus de la journée, soulagé de ne plus être seul. Avec ce dernier, on discute alors de tout et de rien et on mange avec appétit de la nourriture de notre pays. Le soir tombé, nous décidons d’aller regarder la télévision dans la salle prévue à cet effet, où je croise des gens venus des quatre coins du globe. Après avoir échangé avec eux, je commence enfin à me réjouir de mon séjour au foyer, qui m’offre la possibilité de mieux connaître le monde en étant en contact avec des personnes de diverses origines et cultures.

Quelques mois plus tard

C’est ainsi que débuta mon parcours en Suisse. D’un côté certes peu évident quant à ses débouchés, mais enrichissant et fortifiant de l’autre.

Aujourd’hui, mon activité de rédacteur à Voix d’Exils me permet de sortir de ma coquille de Sainte-Croix et de rencontrer du monde – dont le syndic de la Ville de Lausanne – par le biais d’interviews et de reportages. Je suis encore dans la même situation stressante, improbable et sans perspectives d’avenir. Mais, depuis que je suis à Voix d’Exils, je suis sorti de la déprime. Le sentiment d’utilité conféré par le choix, l’élaboration et l’aboutissement d’un article me redonne confiance en moi et fait que je ne me considère plus comme la cinquième roue du carrosse.»

André

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

12 Responses to «Mes premiers jours en Suisse»

  1. Janko says:

    Je suis totalement d’accord avec le côté de ce qu’André a dit dans son témoignage, mon premier jour en Suisse.

    Je pense que si quelqu’un comme lui qui a fait tout son possible pour éviter le danger de la vie ne devrait pas être recommandé pour lui demander comment il est venu à la Suisse.

    Parce que je crois que sa vie est plus important que de lui demander combien d’argent il a dépensé pour se rendre à la Suisse.

    Il est évidemment clair que la plupart des gens en Suisse, il est très difficile de croire que de telles preuves comme ça, mais c’est ce qui se passe réellement dans la plupart des cas.

    J’espère que la meilleure réponse à cette question est encore connu par la victime, et je ne vois pas pourquoi il y aura des questions unneccesary. Enfin, je pense que ce qu’il a écrit sera une bonne expérience pour les autres. Je le félicite pour son bon travail. Gardez à l’esprit haute-André.

    • Un raleur (qui espère en finir là avec ses commentaires de ce billet) says:

      Salut Janko, André le dit très bien, il y a une incompréhension entre les habitants de la Suisse (qui souhaitent – un sondage aujourd’hui le rappelle encore – la baisse des coûts d’hébergement) et les requérants d’asile (qui n’en croient pas leurs yeux lorsqu’ils découvrent la réalité face aux promesses d’organisations mafieuses qui les escroquent et les conduisent clandestinement jusqu’en Suisse).

      Un exemple d’incompréhension ? nos abris PC. On nous hurle à longueur de journées lorsque nous sommes -comme moi – voisins de requérants d’asile hébergés dans de tels centres qu’ils sont inhumains. Pourtant, vous croyez qu’on irait où – et surtout qu’on s’entasserait à combien avec nos enfants en bas âge – si nous vivions une situation de crise ? et ne pensez-vous pas que nos enfants, nos épouses, nos mères, nos grand-mères souffriraient également d’angoisse, de peur, etc ?

      Alors pourquoi est-ce que ce qui serait bon pour nous et nos enfants en cas de guerre ou d’autres situations d’urgence serait inhumain pour de jeunes hommes qui ne travaillent pas pour s’assumer financièrement (voire qui en sont interdits légalement en cas de rejet de leur demande d’asile) et qui sont placés là le plus souvent parce qu’ils relèvent d’un autre pays européen et rechignent à retourner dans ce pays européen ?

      Alors franchement, pour avoir déjà visité le centre de Vallorbe et vu le film « Forteresse », ça n’a vraiment rien à voir avec un centre carcéral et le standard est bien plus élevé que n’importe où dans le monde (ou alors qu’on nous explique que cette impression est fausse et que nos voisins font mieux que nos autorités). Quand on rajoute en plus une affirmation sans autre explication comme « mon premier jour en Europe » dans la première phrase de l’article, désolé, mais je bloque. En définitif, à mon humble avis et sans porter aucun jugement de valeur quant à l’auteur, quand on critique publiquement un hébergement de crise comme Vallorbe et une pension complète entièrement payée par le contribuable, on doit au moins s’attendre à ce qu’il nous soit demandé de détailler un peu son parcours personnel.

      L’idée était de décourager des compatriotes de venir en Suisse parce que les conditions d’hébergement sont dures ? Alors ce n’est pas le bon lieu ici et ce n’est pas non plus la bonne langue. 🙂 Il faut en outre s’en prendre aux organisations criminelles qui s’enrichissent en vendant un rêve, un eldorado irréaliste ; pas aux Suisses qui paient presque 2 milliards pour le « service après-vente » de ces offres criminelles et mensongères de la mafia.

      Désolé, mais je l’ai vraiment pris comme une critique d’un mec qui se perd en montagne, est recueilli dans une cabane d’altitude et se plaint malgré tout que la soupe offerte n’est pas assez bonne (en oubliant totalement qu’il serait mort de froid si l’accueil lui avait été refusé ou si le gardien n’avait pas vu ses traces dans la neige). A un moment, il faut à mon avis accepter que l’asile est un « régime d’urgence » et les conséquences sur sa situation personnelle, et ce malgré ses propres difficultés personnelles. Il est en outre à tout moment possible de partir pour n’importe quelle autre destination dans le monde si le « standard suisse » n’est pas à la hauteur des attentes ou les macaronis pas de la bonne couleur. 🙂
      Amicalement.

  2. Raleur says:

    Presque 18 mois en Suisse et aucune décision ? C’est incompréhensible ! surtout pour un pays d’origine ou le taux d’octroi de l’asile se monte à … 1.4 % (donc qui ne présente a priori pas de grandes difficultés dans l’examen des motifs d’asile… enfin qu’en sais-je au dehors de ces stats ?) !

    Cliquer pour accéder à stat-jahr-2012-f.pdf

    (page 14)

    Cela étant, pourriez-vous expliquer votre « mon premier jour en Europe » ?? Pour grossir le trait et compte tenu des distances, vous avez été parachuté sur Vallorbe ? :o)))
    Je veux bien vous lire avec une grande compréhension pour votre parcours mais cette affirmation est assez rédhibitoire sur celui-ci, non ? Pourquoi alors avoir introduit cette adjonction dans votre texte ? 🙂

    • First day in Europa says:

      Non tous ceux qui demandent l’asile en Suisse ne viennent pas toujours par la mer dans des bateaux de fortune (c’est cliché 😉 Il y a aussi ceux qui prennent l’avion. Quant à moi je suis arrivé à Vallorbe en voiture accompagné par des passeurs qui m’ont aidé à fuir la persécution chez moi et ne voulaient rien avoir avec moi après.

      • Un raleur says:

        Combien cela coûte d’avoir recours à des passeurs pour arriver jusqu’en Suisse depuis la RDC ? 20’000 dollars ? 50 000 dollars ? et pouvez-vous également nous dire la voie utilisée ? L’aéroport de Milan ou en l’Espagne ?

        Un article sur les conditions de ce voyage clandestin serait d’ailleurs certainement très intéressant à lire.

        Enfin, pourquoi avoir acheté un billet pour la Suisse ? N’est-il pas connu que le système suisse est, selon les ONGs, le plus contraire aux droits de l’homme de toute l’Europe ? 😉

      • First day in Europa says:

        Je pense que s’il y avait le choix, personne accepterai de vivrai ce parcours si dépréciant (Ce n’est pas pour admirer la neige que je suis ici 😉
        Je fuis un pays pris en otage par une poignée d’individus (un homme et son clan)
        Où l’on subit une injustice criante (les gens sont arrêtés, emprisonnés et tués) sans qu’aucuns bourreaux ne soient inquiétés.
        Un pays où les hôpitaux sont des mouroirs.
        Où boire de l’eau potable est un luxe.
        Où j’ai dû faire par moi-même pour survivre depuis mes 14ans !
        Où le temps s’est arrêté et aucun espoir à l’horizon.

        Si tu veux un article de voix d’exils sur les conditions des voyages clandestins en voila un :
        http://voixdexils.ch/2013/02/25/ue-traversee-funeste/#more-2425

      • Raleur (bis et repetita) says:

        J’ai profondément de tristesse pour cette personnes décédée en tentant de traverser la méditerranée. Mais ne le dites-vous pas vous-même avec force de détachement : « c’est cliché » de mettre cette seule image en avant ?

        Pour votre part, vous indiquez avoir pris l’avion. Depuis vos 14 ans, vous avez donc du relativement bien vous en sortir pour vous « offrir » (je n’ose imaginer la contre-partie) un vol vers la Suisse, non ?
        A ma connaissance, 20’000 dollars, c’est d’ailleurs vraiment un minimum pour venir en Suisse et c’était les chiffres avancés par une connaissance du Kosovo. J’imagine que, pour la RDC, c’est encore plus cher ?? Alors pourquoi ne pas nous parler de la contre-partie qu’implique une telle somme ? Je veux bien qu’on me parle de la tristesse de manger des macaronis roses (personnellement, j’ai adoré cela à l’armée), mais ne devriez-vous pas vous livrer un peu plus dans votre récit ? N’est-ce pas l’idée de voix d’exils ?

      • First day in Europa says:

        Dans cet article j’ai juste voulu parler de mon premier contact avec la Suisse pour montrer à ceux qui voudraient s’y aventurer en pensant qu’elle est l’eldorado et pour ceux qui pensent que les réfugiés vivent aisément et profitent de l’asile, que cela n’est pas le cas !
        Ultérieurement, voix d’exils reviendra sur ce sujet complexe :le comment du départ. (Rassure toi c’est loin de ces idées préétablies, 20.000$ ! 🙂
        Les réalités des Suisses et celle des Congolais sont tellement éloignées, qu’il est à mes yeux normal qu’il y ait des incompréhensions. Tous ces qu’ils savent les uns des autres est ce qu’ils ont entendu ou lu quelque part et non ce qu’il en est réellement.

    • Saikou says:

      Les mots n’ont pas exactement la même signification pour chacun, ne produisent pas le même écho, n’éveillent pas les mêmes émotions. Mieux vaut mettre sa subjectivité de côté pour voir la réalité la vraie réalité. J’ai l’impression que les préjugés colent à la peau trop de stéreotypes.Cet témoignage relève d’un parcours d’une personne qui vit en Suisse et il sait ce dont il parle…

  3. Papy says:

    « Ils réfléchiraient à deux fois avant de quitter leur famille et de lutter pour changer les choses dans leur pays. » Hum! Personne ne quitte les siens par plaisir ! On le prend tous pour des profiteurs. Les persécutions qui les obligent à rechercher un refuge ne sont pas prises en compte c’est dommage !

  4. Baehler says:

    Merci pour votre témoignage simple et courageux. En tant que bénévole du « café-contact » à l’evam de Ste-Croix, je comprends bien votre parcours et cela me fait mal que l’on puisse traiter ainsi une personne cherchant de l’aide. Je pense aussi que si les réfugiés savaient ce qui les attend ici, ils réfléchiraient à deux fois avant de quitter leur famille et de lutter pour changer les choses dans leur pays . Pour vous, je souhaite que tout se passe au mieux et que si vous deviez retourner au Congo, ce soit avec une grande force intérieure. Bravo pour votre engagement à Voix d’exil , belles et bonnes rencontres pour vous.

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